L’élection de Soraya Ferrada Martinez à la mairie de Montréal en octobre dernier a remis l’itinérance au cœur de l’actualité. Sa détermination à agir et son refus de démanteler les campements sans solutions alternatives témoignent d’une sensibilité qui nous donne espoir. Mais les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’itinérance est plus qu’un enjeu montréalais, c’est une crise québécoise qui explose littéralement sous nos yeux.
Par Line St-Amour, Directrice générale de l’organisme Plein Milieu
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Selon les plus récentes données disponibles, dix mille personnes étaient en situation d’itinérance visible au Québec en 2022. Une hausse de 44 % en seulement cinq ans. Ces données du gouvernement du Québec ne sont pas que des statistiques : ce sont des milliers de vies qui basculent dans la rue, partout en province. Et ces chiffres sont certainement inférieurs à la réalité en 2025.
Chez Plein Milieu, à Montréal sur le Plateau-Mont-Royal, nous côtoyons quotidiennement ces citoyen.nes qui font les manchettes. Nous estimons qu’au moins une centaine de personnes habitent présentement en campement dans notre seul arrondissement, et ce, sans compter toutes celles qui sont aussi en situation d’itinérance et cherchent refuge au quotidien sans s’établir à un endroit fixe. Nous bâtissons avec elles des relations de confiance. Nous les accompagnons vers le mieux-être. Nous facilitons leur accès aux soins et aux services.
Une crise à la grandeur de la province
Les données sont frappantes : alors qu’en 2018, 80 % des personnes en situation d’itinérance se trouvaient à Montréal, en 2022, cette proportion est tombée à 60 %. L’itinérance s’est répandue partout au Québec.
Selon les mêmes sources, en Outaouais, l’augmentation atteint 268 % ; dans les Laurentides, 109 %, en Montérégie, 98 %, alors qu’en Mauricie–Centre-du-Québec et en Estrie, les campements se multiplient.
Cette crise interpelle donc chaque municipalité, chaque région, chaque élu.e du Québec. Ce n’est plus « le problème de Montréal ». C’est notre problème collectif.
Des citoyen.nes, pas des problèmes
On oublie trop souvent que les personnes en situation d’itinérance sont des citoyen.nes à part entière. Elles ont des droits, des besoins, des aspirations. Le dénombrement révèle une situation troublante, soit le fait que 16 % des personnes à la rue travaillaient et qu’à Montréal, c’est 17 %.
Ces gens ont un emploi, mais pas de toit.
On parle aussi qu’environ le tiers des jeunes qui sortent de la DPJ à 18 ans, se retrouvent à la rue.
L’itinérance n’est pas une identité ni une situation qu’on choisit, quand on a de réels choix. C’est le symptôme et la conséquence de multiples fractures sociales.
Et les causes ont changé : en 2022, plus de deux personnes sur dix ont perdu leur logement à cause d’une expulsion. La crise du logement pousse littéralement des gens à la rue.
Sur le terrain : ce qui fonctionne quand on veut vraiment agir
À Plein Milieu, nous travaillons quotidiennement avec les personnes qui vivent ces réalités. Ces centaines de Montréalais.es en campement ont besoin qu’on les soutienne, qu’on réponde à leurs besoins de base, qu’on les écoute et qu’on les considère. Pas qu’on les déplace d’un coin de rue à l’autre. Dans le reste du Québec, il existe des centaines d’organismes avec des missions et des activités similaires.
L’approche que défend la nouvelle mairesse de Montréal qui consiste à ne pas démanteler tant qu’il n’y a pas d’alternatives, est la seule humainement acceptable. Les démantèlements sans solutions de rechange adéquates et variées ne sont que des bâtons supplémentaires dans les roues de personnes déjà profondément fragilisées.
Nous implorons donc tous les élu.es du Québec : soutenez les organismes qui proposent des solutions concrètes et du soutien aux personnes en situation d’itinérance. Écoutez celles et ceux qui sont sur le terrain, qui connaissent les noms et les histoires des personnes que vous voulez aider.
Un dialogue nécessaire entre paliers de gouvernements
Une personne sur deux était à la rue depuis moins d’un an. Cela signifie que nous assistons à un flux constant de nouvelles personnes qui basculent dans l’itinérance. La prévention doit devenir une priorité absolue.
À Montréal comme ailleurs au Québec, les municipalités ne peuvent pas porter seules ce fardeau. Le gouvernement provincial détient des leviers cruciaux sur plusieurs éléments qui contribuent directement à agir sur l’itinérance : santé mentale, services en dépendance, aide sociale, logement social, soutien aux locataires menacés d’expulsion.
Le dénombrement le dit clairement : il faudrait offrir des services de soutien aux locataires évincés dès la décision du Tribunal administratif du logement, voire dès l’introduction d’une demande. C’est de la prévention concrète.
L’urgence de l’hiver, la nécessité du long terme
Oui, l’urgence est réelle chaque hiver au Québec. Les initiatives comme le groupe tactique d’intervention annoncé à Montréal pour s’assurer que les gens soient au chaud sont essentielles. Les mesures d’urgence ne doivent pas nous faire oublier la nécessité absolue de solutions pérennes :
- Des réponses variées en matière de logement dont des logements sociaux accessibles rapidement
- Des services de santé mentale, physique et de traitement des dépendances sans liste d’attente interminable
- Un soutien aux locataires menacés d’expulsion avant qu’ils ne se retrouvent à la rue
- Un financement adéquat et prévisible des organismes communautaires
Il faut arrêter de mettre des pansements sur une hémorragie. Il faut traiter les causes profondes. Les chiffres nous montrent que l’approche actuelle ne fonctionne pas.
À Plein Milieu, nous croyons fermement que les individus ne devraient jamais être considérés comme des problèmes.
À tou.tes les élu.es du Québec qui nous lisent : nous sommes prêts à collaborer. Les organismes communautaires, les travailleur.ses de rue, les intervenant.es en réduction des méfaits — nous sommes là, nous connaissons le terrain, et nous voulons construire avec vous des solutions qui mettent l’humain au centre.
Parce qu’au Québec, en 2025, avec une hausse de 44 % de l’itinérance en cinq ans, nous n’avons plus le luxe d’attendre. Personne ne devrait avoir à organiser sa survie hivernale sous une tente. Personne.
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Plein Milieu est un organisme montréalais qui bâtit depuis plus de 30 ans des relations de confiance avec les personnes utilisant des drogues, en situation d’itinérance ou à risque de l’être ainsi qu’avec les jeunes de 12 ans et plus, dans une perspective de réduction des méfaits, d’information et de prévention. Nous accompagnons ces personnes dans leur parcours vers le mieux-être, en facilitant leur accès aux connaissances, aux services et aux soins qui correspondent à leurs besoins.
Line St-Amour, directrice générale de Plein Milieu
SOURCES
- Dénombrement des personnes en situation d’itinérance visible au Québec, ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, 2022.
- https://www.qub.ca/video/ensemble-montreal-va-lancer-un-groupe-d-intervention-tactique-en-itinerance-promet-claude-pinard-498533645


